Interview
Sylvie ODEZENNE

N’oublions pas que d’un point de vue sociétal, nous ne sommes pas faits pour vivre seuls et ce n’est pas seuls que nous saurons inventer le monde d’après.

Sylvie ODEZENNE

Date de l'entrevue : 17/02/2021

Entreprise : ATI TRANSWORD

Dans un premier temps, je vous propose de vous présenter, de nous parler de votre parcours professionnel.

Je suis Sylvie Odezenne, gérante de l’entreprise ATI Transword. J’ai passé une maîtrise, puis un DEA en traduction appliquée, que j’ai complété par une formation en école de commerce, afin de me doter d’une palette de connaissances la plus large possible et développer une polyvalence permettant de répondre aux attentes éclectiques du marché de la traduction.

J’ai débuté mon activité en 1989, j’ai toujours été attirée par les langues en particulier, et les échanges, la convivialité ainsi que les relations humaines en général. Je me suis naturellement orientée vers la traduction qui m’a permis de marier ces deux passions.
L’entreprise que j’ai fondée, propose des traductions, dans toutes les langues de l’Europe de l’ouest, aussi bien dans les domaines, techniques, juridiques, commerciaux, publicitaires, que scientifiques et notamment pour ce qui est relatif aux brevets d’entreprises, contrats, appels d’offres, brochures commerciales, rapports techniques, communiqués de presse.

La société dispose aujourd’hui d’un réseau d’entreprises clientes qui s’est étoffé au fil des années. Afin de répondre efficacement au besoin du marché de la traduction, j’ai constitué, avec des pairs, une plate-forme qui compte aujourd’hui une douzaine de personnes répartis sur 4 sites en France et qui constitue le groupe Transword.

Ayant un attrait particulier pour les domaines touchant au juridique, je suis également depuis 12 ans maintenant, Traducteur Expert près la Cour d’Appel de Grenoble en langue anglaise et allemande, pour laquelle j’interviens dans le cadre de procédures judiciaires ou de gestion de litiges.

Mon rôle étant de faciliter l’échange et la compréhension entre des personnes, tout en préservant la fidélité du message, même si comme le dit l’adage, « traduire, c’est un peu trahir ». Dans cette démarche, c’est à n’en pas douter, la dimension humaine qui m’anime.

Les compétences développées dans le cadre de cette expertise judiciaire, m’ont également permis d’adresser une clientèle d’avocats et de particuliers.

Dans le cadre de vos activités, vous côtoyez de nombreux réseaux professionnels, qu’est-ce qui suscite votre engagement réseau et qu’attendez-vous concrètement de ces organisations?

Dans le cadre de mes activités, je côtoie en effet de nombreux réseaux professionnels, mais celui qui aujourd’hui encore, reste à la fois mon réseau de cœur et celui qui m’a offert l’opportunité de rentrer en contact avec d’autres organisations du même ordre, c’est le réseau des Femmes Chefs d’Entreprises (FCE). FCE est le 1er réseau d’entreprenariat féminin créé il y a plus de 75 ans sous l’impulsion de femmes majoritairement industrielles, ayant repris le pilotage de leur entreprise en temps de guerre. Notre principal objectif est de promouvoir la mixité dans les entreprises et les instances institutionnelles comme source de croissance économique. Avant que je ne rejoigne cette association en 2007, j’avais plutôt une démarche réseau qui se limitait à participer à des conférences, tables rondes et autres évènements professionnels de façon ponctuelle.

Ce qui a motivé ma décision de rejoindre la FCE, c’était un besoin de rencontre, d’échange entre femmes entrepreneurs, afin ne plus être confrontée à l’isolement du Chef d’entreprise. Bien souvent ce partage d’expériences peut vous apporter une solution pour répondre à une difficulté que vous rencontrez dans le cadre de vos activités.

Nous évoluons dans un tissu économique très diversifié et la FCE m’a également permis de me projeter dans la cité et d’œuvrer de façon à être utile aux autres. C’est d’ailleurs le fondement même d’un réseau que de se mettre à l’écoute et en soutien d’autres professionnels quels que soient leurs secteurs d’activités, et c’est cela la richesse que l’on peut en retirer.

J’ai eu le privilège de faire partie des Dirigeantes qui ont contribué à la mise en place de la FCE en Isère il y a maintenant plus de 10 ans. La délégation FCE Grenoble Alpes compte aujourd’hui une cinquantaine de membres actifs et au plan national, le réseau comprend plus de 2000 adhérentes femmes chefs d’entreprise, réparties entre 60 délégations sur l’ensemble du territoire français.

Un réseau peut également être la porte d’entrée vers d’autres organisations professionnelles et c’est à ce titre que la FCE m’a permis de découvrir, et de rejoindre le Club Entreprises de Grenoble.

Au regard de votre expérience des réseaux, quelles sont les barrières à la constitution et à l’utilisation d’un réseau professionnel ?

Lorsque l’on décide de rejoindre un réseau, il faut en premier lieu se poser des questions sur la finalité de cette organisation et des objectifs que l’on poursuit en entamant la démarche d’adhésion. En quoi nous pouvons servir le réseau, ce que l’on peut lui apporter.

Rejoindre une association professionnelle, nécessite de s’engager à un devoir d’exemplarité, au regard des valeurs qui la fondent. Des valeurs telles que la solidarité, la bienveillance, le respect. Mais également s’engager à véhiculer une image positive de soi et de l’organisation que l’on représente.

C’est cet engagement personnel et cette posture, qui permettent de mettre en œuvre des partenariats, avec des institutions publiques ou des universités, comme cela a été le cas à de nombreuses reprises entre la FCE et l’IUT2, en participant à des jurys, en témoignant de nos activités devant les étudiants. Dans ce cadre précis, nous intervenons devant des jeunes qui sont peut-être les futurs Managers ou Dirigeants de nos entreprises et la valeur d’exemplarité prend alors tout son sens.

Le Club des Entreprises de Grenoble, qui a entre autres vocations, de faciliter les échanges entre les entreprises et les IUT, a dû s’adapter au contexte actuel en proposant certains de ses évènements et rencontres en distanciel. Si cette situation devait se prolonger, quelles seraient vos attentes auxquelles le Club pourrait répondre ?

Il y a trois mots à mon sens qui résument bien ce que représente et peut apporter le Club des Entreprises de Grenoble.

Le premier est « Perfectionnement ». C’est permettre aux Dirigeants ou Managers adhérents du Club de perfectionner leurs compétences, car dans ce monde en perpétuelle évolution, nous n’avons jamais fini d’apprendre.

Le deuxième, c’est « Information », il est essentiel que le Club continue d’informer les entreprises partenaires de toutes les actualités ou innovations, qui peuvent leur permettre de mieux comprendre et appréhender le contexte économique, social ou législatif sur le plan local ou national.

Et enfin le dernier « Formation », afin d’offrir aux membres du Club la possibilité de participer à des tables rondes ou des jurys, qui permettent de mieux comprendre ces générations montantes, qui constituent un incroyable réservoir d’idées, d’appréhender leurs attentes, afin de mieux les accueillir dans nos entreprises. Mais c’est aussi l’opportunité de découvrir de nouveaux outils de communication et de management, qu’ils soient numériques ou comportementaux.

Pour terminer, un autre point, et non des moindres : j’ai découvert que le Club Entreprises de Grenoble proposait depuis quelques mois, les « Coups de Cœur du Club», une sélection d’ouvrages de littérature du travail, portant sur des thèmes de stratégie, de développement commercial, de management ou bien encore de « success story » de Dirigeant.e.s d’entreprises.

Je suis pour ma part une fervente lectrice et je trouve cette idée géniale, pour parfaire mes connaissances et trouver de nouvelles inspirations pour innover et développer mon entreprise.

La crise sanitaire sans précédent que nous traversons risque de modifier et fragiliser durablement nos organisations professionnelles. Beaucoup de Managers se posent la question sur l’opportunité de maintenir leur présence en réseau, durant cette période de grande complexité. En tant que Dirigeante engagée, quel conseil leur donneriez-vous ?

On constate que les chiffres s’érodent au sein de nos associations et que le découragement s’empare des troupes et ceux qui constituent le noyau dur des organisations associatives, ont parfois des difficultés à maintenir l’engagement des adhérents.

Je suis convaincue que l’appartenance à un réseau est vital pour un.e Dirigeant.e, afin de lutter contre l’isolement managérial, de favoriser une forme d’intelligence collective autour des échanges d’expérience et de vision du futur pour promouvoir le développement des entreprises. Si ces réseaux venaient à se trouver affaiblis par un désengagement de leurs membres, lié à cette crise sanitaire, cela nécessiterait un temps de reconstruction, de re-fédération qui serait préjudiciable au plus grand nombre.

Il faut au contraire rester en contact avec nos pairs, avec les institutions, être opérationnels, être solidaires pour faire face ensemble, aux difficultés que les entreprises rencontrent, être un soutien psychologique pour nos homologues qui traversent un période difficile et les aider à trouver des solutions. Et même en cette période où il est complexe de nous rencontrer, les nouveaux outils numériques nous permettent de nous voir et d’échanger sans la contrainte du masque.

Et puis n’oublions pas que d’un point de vue sociétal, nous ne sommes pas faits pour vivre seuls et ce n’est pas seuls que nous saurons inventer le monde d’après.

Je ne peux ici m’empêcher de vous rappeler la devise de notre association FCE : « Seules nous sommes invisibles, ensembles nous sommes invincibles ».

Quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui vont rentrer dans le monde de l’entreprise et se demandent s’ils sont légitimes pour rejoindre un réseau professionnel et quelles sont les démarches à mettre en œuvre pour y parvenir ?

J’ai pu constater lors des nombreux échanges que nous avons avec les étudiants, lors des jurys ou des témoignages que nous réalisons dans les universités et les écoles de commerce, que les étudiants se trouvent confrontés à la difficulté de s’ouvrir à la vie économique, d’engager des relations avec les managers d’entreprises et les courriers de demandes de stage, d’alternance ou de candidature qui restent sans réponse ne les y encouragent pas.

Le conseil que je leur donnerais, c’est d’oser, parce qu’en osant, ils n’ont rien à perdre. Oser entrer en contact avec des professionnels, lors de forums, de conférences, de journées portes ouvertes, etc. Et en cette période de restriction sanitaire, je leur conseille de se tenir informés de ce qui se passe sur leur territoire, de cartographier les entreprises et les réseaux professionnels qui les intéressent, de faire de la veille et de suivre ces organisations via les différentes plateformes numériques, qu’ils maitrisent parfois mieux que nous.

C’est également « Oser » prendre contact avec les associations professionnelles les plus cohérentes avec leur projet professionnel et les contacter directement ou lors d’un jury, non pas pour trouver un job, même si cela peut arriver, mais pour comprendre comment fonctionne un réseau, se faire convier à des réunions en distanciel ou présentiel quand cela sera possible, d’échanger avec des professionnels et commencer à tisser son propre réseau relationnel.

C’est une des opportunités que le Club entreprises offre aussi bien aux étudiants pour rencontrer ces réseaux d’entreprises qu’aux Dirigeants pour identifier leurs futurs collaborateurs.

Pourquoi ne pas leur proposer de se réunir en petit groupe pour mettre en œuvre cette intelligence qui leur permettra d’identifier des stratégies pour avancer ? Ils ont un monde à conquérir et peuvent aborder des thématiques telles que : quels sont les réseaux qui peuvent les y aider, comment les aborder et quels sont les outils pour y parvenir.

La question de la légitimité se posera bien sûr, mais c’est en commençant à s’intéresser à ces organisations, à communiquer avec elles, à montrer une forme d’intérêt pour leur démarche qu’ils pourront s’en rapprocher et participer à certaines de leur activité.

Propos recueillis par Richard Compte.